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Document : EXTSYD 251 RUSH 2 2 - ESPRIT MITTERRAND

 
 
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Type SEQUENCE
Collection Pathé Sygma Reversements
Documentaire
Duration 00:22:54
Col. sound Color  Sound
Rights Vente des rushes avec l'accord des auteurs (Pierre Jouve & Ali Magoudi) - Reversements Autors agreement
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Reference

EXTSYD 251 RUSH 2 2

Title

ESPRIT MITTERRAND

Dates

Shooting : 24/04/1984

Summary catalogue

Interview de François Mitterrand par Pierre Jouve et Ali Magoudi.

Descriptive summary

Ali Magoudi : Camarades d ’ école ? François Mitterrand : Camarades d ’ école. C'est-à-dire, il y en a qui se noyaient, d ’ autres qui mouraient de maladie. Pierre Jouve : Est-ce que la croyance que vous avez vu autour de vous, vous parait elle spécifique à cette époque ou bien pensez-vous qu ’ elle est restée la même ? FM : Je ne sais pas ce qu ’ elle est devenu, mais c ’ était une croyance très simple, très naturelle, non discutée, c ’ était une explication de ce que l ’ on appelait l ’ harmonie des choses, c ’ était peut être aussi un peu un recours, c ’ était aussi un jugement, un point de repère entre ce qui est bien et ce que est mal. Ma mère aurait eu une tendance mystique, mon père était aussi profondément chrétien, mais lui était silencieux, pas prosélyte du tout. PJ : Votre mère est morte lorsque vous aviez 19 ans, on peut vous poser une question sur l ’ impact que cela a produit chez vous ? FM : Mes parents ont eu la malchance de mettre longtemps à mourir. Ma mère était frappée à mort d ’ une maladie de cœur, deux ans avant de mourir. Elle ne savait qu ’ elle allait mourir, mais elle ne mourait pas. Mon père est mort d ’ un cancer de la colonne vertébrale, lui aussi a mis deux ans à mourir, c ’ était dix ans après. Donc c ’ était des chocs très amortis par la maladie, la souffrance, la douleur. PJ : Quand votre mère est morte, où étiez vous à 19 ans ? FM : J ’ étais étudiant à Paris, rue Vaugirard. C ’ était en 1936, j ’ étais étudiant depuis 1934. AM : L ’ emploi que vous faites de ces mots dans vos discours sont surtout utilisés quand vous voulez décrire certains travers d ’ un certain nombre de partis politique de gauche. FM : Ah bon. Non, quand je m ’ adressais aux populations à l ’ époque, j ’ avais un public qui s ’ appelait « gauche albigeoise », en Cathare. AM : On a quand même l ’ impression que ce sont des métaphores que vous utilisez. FM : C ’ est vrai, le conflit actuel à l ’ Assemblée Nationale sur la loi de l ’ enseignement, c ’ est religieux et les laïcs sont aussi religieux que les autres. C ’ est une idéologie, mais c ’ est religieux. AM : Quand je dis que c ’ est une constante, il y a une part de vérité. « Non, je n'ai pas rencontré le dieu du socialisme au détour du chemin. Je n'ai pas été réveillé la nuit par ce visiteur inconnu. Je ne me suis pas jeté à genoux », etc. FM : Je considérais, moi, que les socialistes des années 1950 ne l ’ étaient pas du tout. Je me sentais plus socialistes qu ’ eux. Tous les votes que j ’ ai fait à l ’ Assemblée Nationale dès 1946, ont toujours été ceux qu ’ a fait le parti socialiste. Quelques fois lorsqu ’ ils ne l ’ étaient pas, exception à la règle, c ’ est parce qu ’ ils n ’ étaient pas à gauche, eux. J ’ ai toujours refusé d ’ adhérer à un parti, sauf très tardivement, quand je l ’ ai créé moi-même. J ’ avais 55 ans. AM : La semaine dernière encore, en parlant des hommes politiques qui voulaient vous faire dire des choses que vous n ’ aviez pas dites ou pas écrites, vous disiez « il y a les prêchi prêcha, ils veulent toujours que l ’ on passe par la confession ». FM : Cette expression est une expression chrétienne. Je parle comme Jésus. AM : Comme s ’ il y avait quelque chose dans l ’ organisation de l ’ Eglise chrétienne, un modèle que vous réfutiez. Est-ce que là-dessus vous pouvez vous interroger ? FM : Certainement. Mais ce n ’ est pas par rapport à l ’ Eglise que je dis ça, c ’ est une question qui me parait très claire, puis en plus il y a le côté clérical de toute cette gauche là. « Avouez, vous serez peut-être pardonné », tant que vous n ’ avez pas avoué, vous ne serez pas pardonné, même si vous agissez conformément. D ’ ailleurs la famille autour de laquelle vous tournez, elle est là quoi. PJ : Nous ne sommes pas cléricaux. FM : Gauche cléricale, et dans la gauche cléricale il y a beaucoup de gens qui sont anticléricaux d ’ idéologie mais qui sont de tempérament clérical. Vous verrez, j ’ emploie des expressions. C ’ est une forme de culture qui a été faite par le latin d ’ abord. J ’ ai appris le latin très jeune. Je n ’ ai jamais été un as en latin, mais j ’ avais la mécanique. Je me souviens que pour mon plaisir, j ’ ai découpé toute la prosodie de Virgile. On mettait une barre pour bien voir où c ’ était, une mécanique enfantine. Aujourd ’ hui c ’ est comme si on demandait à un enfant de décomposer un alexandrin, il y a douze pieds, une césure, … Et Horace, mais ce n ’ était pas en classe, c ’ est moi qui faisait ça pour mon plaisir. Je ne faisais pas la traduction, ce qui eut été infiniment plus consciencieux de ma part, plus utile. Malgré tout, je traduisais aussi un peu quoi, je n ’ étais pas ignorant. J ’ étais un bon élève pour la récitation des poèmes en latin, j ’ aimais bien les types de phrases. C ’ est une formation qui peut paraître aujourd ’ hui bien désuète mais c ’ est comme ça que moi j ’ ai été élevé dans les années 1924 ou 30. PJ : Dans l ’ un de vos livres il y a un passage qui est extrêmement pathétique et qui raconte votre entrée au pensionnat d ’ Angoulême. Justement je me posais la question de savoir si la gauche cléricale dont vous parliez, ceux qui peut être vous pardonneront, n ’ auraient pas quelque chose à faire avec les religieux qui tenaient votre pensionnat. FM : C ’ étaient de braves gens. C ’ étaient des curés diocésains, des prêtres séculiers. Ce n ’ étaient pas des jésuites, mon caractère serait très différent sans doute. C ’ étaient des prêtres diocésains. C'est-à-dire que c ’ était un collège qui appartenait à l ’ évêché et dont les enseignants étaient des prêtres qui devenaient curés ou qui étaient curés et qui devenaient professeurs, voyez, c ’ est donc une nature d ’ homme et de formation beaucoup moins formelle que les ordres réguliers naturellement les jésuites, qui en plus sont un ordre régulier très versé dans l ’ enseignement. C ’ étaient souvent des gens sans grande technique d ’ enseignement puis c ’ étaient souvent des paysans charentais, vous voyez, donc c ’ était un peu familial. Les familles se connaissaient, mon vieux professer d ’ Histoire, monsieur Valette, habitait à Nercillat qui était un petit village à quelques kilomètres de Jarnac, donc je connaissais sa famille, sa nièce. Donc vous voyez, justement, un petit côté très « province » dans tout ça, ça n ’ avait même pas les grandes projections des jésuites ou d ’ un ordre, mais c ’ étaient généralement de braves gens. PJ : Vous avez cultivé ce côté « province », comme vous dîtes. FM : Ah oui, j ’ aime beaucoup. PJ : Vous aimez beaucoup. On a l ’ impression que vous le cultivez. FM : Je ne veux pas que l ’ on m ’ enterre à Paris, par exemple, c ’ est une manie ridicule, mais c ’ est comme ça. Je suis le premier à en rire. Je ne veux pas que l ’ on m ’ enterre à Paris, vous imaginez ? Le cimetière de Thiais, ou à Clamart, même à Montparnasse, hein (Rires, sourires). PJ : Jarnac, vous y revenez parfois ? FM : J ’ y retourne, plusieurs fois par an. PJ : Vous avez vu le temps passer sur vos souvenirs, les choses se modifier, changer, se remodeler, quelle est votre réflexion sur ce changement dans la croyance ? Est-ce que vous pensez que la croyance a subi les mêmes modernisations ? FM : Non. Ça n ’ a pas beaucoup bougé. Il y a moins d ’ engagement spirituel, parce que le monde est comme ça, plus dispersé, on voyage davantage, on est moins attaché à ses propres racines. Mais ce qu ’ il en reste, il en reste beaucoup, est imprégné de la même façon, selon moi. Je ne le vois pas de l ’ intérieur car je ne le pratique pas beaucoup, je le vois de l ’ extérieur. PJ : Vous le regrettez, ce changement ? FM : Non, il n ’ y a pas beaucoup de changement. AM : Vous avez écrit que la connaissance d ’ Adam Smith est indispensable à qui veut comprendre quelles lois de la science et quels dieux de la mythologie les guident. Appliqué à vous, monsieur le Président, quelles lois de la science et quels dieux de la mythologie vous guident ? FM : Oh, je n ’ en sais rien… Je ne me suis pas interrogé sur ce point là et là c ’ était Adam Smith, c ’ était un personnage très important de l ’ économie, même moderne après tout. Disons d ’ Adam Smith à Ricardo… après tout Ricardo explique beaucoup Marx et je crois qu ’ il faut en même temps passer à la philosophie avec Hegel et Kant aussi, et là on trouve quand même l ’ origine de tout ce qu ’ a été le 19ème siècle et une partie du 20ème, donc ça m ’ intéressait beaucoup, à ce point de vue là. Quant à ce que cela est pour moi… Posez-moi des questions concrètes. AM : C ’ est concret, c ’ était de l ’ ordre de la croyance, c'est-à-dire que vous avez une constance dans votre être qui est visible, dans toutes vos lectures, dans tout ce que vous avez fait. FM : Oui, je le crois. AM : Et pour maintenir un tel cap, il faut une croyance, alors la croyance… FM : (rire désabusé) La croyance est faite de beaucoup de doutes, enfin… (Rires) C ’ est comme l ’ impatience est faite d ’ impatiences multiples. Mais c ’ est vrai qu ’ au total je suis patient, qu ’ au total je suis croyant. Croyant dans quelques des objectifs… Je suis le premier à sourire de moi lorsque je pense que l ’ homme serait perfectible, par exemple. Mais je sais bien qu ’ il ne l ’ est guère et pourtant je ne peux pas me défaire de ce sentiment qu ’ il l ’ est et qu ’ il faut y travailler. Et je suis de ceux qui croient que l ’ homme est perfectible, non seulement par l ’ approfondissement de sa réflexion personnelle, le cas échéant de l ’ enseignement qu ’ il reçoit, mais aussi par l ’ organisation de la société, c ’ est une des thèses auxquelles je crois le plus, lorsque j ’ ai souvent développé, quelque fois dans mes livres et souvent dans mes discours, que la liberté n ’ existe pas à l ’ état naturel et c ’ est une thèse à laquelle je tiens profondément et elle explique beaucoup de choses. Elle n ’ existe pas à l ’ état naturel. L ’ autre jour nous avons parlé de la forêt et ce sera ça ma meilleure image, par rapport à ce que je vous dis. La belle forêt n ’ existe pas à l ’ état naturel, elle est source de miasmes, les arbres y pourrissent, et la belle forêt, celle que l ’ on imagine précisément la plus naturelle, la plus ancestrale, c ’ est celle qui est entretenue par la main de l ’ homme. De même dans l ’ organisation sociale, quand on y cherche la liberté, quand on veut installer la liberté, cela s ’ organise. Je ne veux pas dire que cette liberté, à la manière des soviétiques, doit être ensuite comme dans une boite de conserve, mais seul un certain nombre de lois et de structures permettront à la liberté de s ’ épanouir. Même le rousseauisme et toutes les thèses plus ou moins futuristes, écologiques, sur le développement naturel, ça je n ’ y crois pas du tout. C ’ est source d ’ esclavage. Voilà un fondement de ma vie politique. Je me rends très bien compte de la force de l ’ argument contraire : parce que la liberté n ’ existe pas à l ’ état naturel, il faut donc la conquérir et l ’ organiser, mais il faut faire attention de ne pas non plus trop l ’ organiser, puisqu ’ alors on la perd de nouveau. C ’ est très difficile, les institutions sont donc nécessaires et il faut cependant qu ’ elles ne soient pas contraignantes, plus qu ’ il ne le faut, c ’ est une pesée très délicate. C ’ est que ceux qui ont systématisé ce raisonnement ont bâti des dictatures. Dès qu ’ ils ont pris en compte pour eux-mêmes l ’ organisation de la liberté des autres, c ’ est terriblement dangereux. AM : Vous parliez du doute. FM : Oui, j ’ ai beaucoup de doutes. Souvent je me dis que j ’ ai eu tort de faire ceci, j ’ ai eu tort de faire cela, et cependant ça ne m ’ empêche pas de persévérer. AM : Dans votre enfance, ce doute, il s ’ exprimait déjà ? FM : Sur le plan religieux ? AM : Non, dans votre vie en général. FM : Peu. Au fond ce n ’ était pas très compliqué, pas tellement de questions. Je trouvais que le monde était beau, j ’ ai eu une enfance heureuse, c ’ était harmonieux. Je pensais que les amitiés étaient éternelles, que les amours étaient durables, que les gens étaient faits pour s ’ aimer, je crois que c ’ est ça. AM : C ’ est un peu contradictoire avec ce que vous nous racontiez sur la mort de ces camarades à 10, 12 ans. FM : Ils ne tombaient pas comme des mouches, il y en a eu quelques uns. Le choc qui durait quinze jours mais qui durait quand même. PJ : J ’ ai cru ressentir tout au long de cet entretien, qui je pense est amusant et exceptionnel, c ’ était une certaine gêne à toucher deux ou trois points précis. Ceux de votre mère, et ceux de votre croyance. FM : Sur ma mère je n ’ ai aucune réticence. Sur la croyance je ne vois pas pourquoi j ’ irais déballer mes états d ’ âme. Je n ’ ai absolument aucune envie de le faire, je n ’ en vois pas du tout la nécessité d ’ ailleurs. PJ : A qui ressemblez-vous le plus ? FM : J ’ ai du ressembler à ma mère pendant les quarante premières années de ma vie et je crois que je ressemble de plus en plus à mon père en vieillissant. PJ : Votre père, d ’ après ce qu ’ on a pu lire, semble avoir été assez loin, il semble éloigné. FM : Mon père ? Pas du tout, non. C ’ était un homme froid et silencieux. Donc qui communiquait peu. Bien, mais très peu. Mon père, je ne l ’ ai jamais vu embrasser ses enfants autrement que par un baiser effleurant la peau sur la tempe rapide, avec une pudeur ombrageuse, un peu misanthrope, très silencieux. Mais j ’ ai quand même beaucoup connu mon père, il est mort quand j ’ avais 29 ans. On le voyait souvent, je me souviens, il parlait beaucoup quand il était à Paris, il venait nous voir là et on passait des soirées à parler. A Jarnac, il ne disait rien. Mais on a très bien communiqué avec mon père, au contraire, c ’ était un homme très remarquable. Chacun dit ça de son père peut-être. Très remarquable. Très belle intelligence, vaste cerveau et très grande richesse intérieure. Nous portions beaucoup d ’ affection et de respect pour mon père, ça tous mes frères et sœurs sont comme moi, mais il n ’ était pas facile d ’ approche, on était intimidé par lui. PJ : Pourquoi pensez-vous qu ’ il soit resté comme ça à l ’ égard de ses enfants ? FM : Je crois que c ’ était son caractère, on le retrouve d ’ ailleurs chez plusieurs d ’ entre nous. Un caractère très réservé, en même temps très timide, un peu introverti. Je crois qu ’ il s ’ était enfermé, au fond sa vie à Jarnac n ’ était pas celle qu ’ il aurait voulue. Il aurait rêvé à vingt, trente ans, d ’ être journaliste, écrivain. Il aurait voulu s ’ exprimer, mais il n ’ avait pas du tout d ’ argent et il a poursuivi la carrière de son père dans un chemin de fer. J ’ ai là d ’ ailleurs, si vous voulez aller me prendre ce cadre plus haut qui se trouve derrière. [Coupure sur image : le diplôme du père de François Mitterrand]

Mots clés

PARIS; Jarnac (off); François Mitterrand; Pierre Jouve; Ali Magoudi; PRESIDENT OF THE REPUBLIC; INTERVIEW; SCHOOL; RELIGION; CROYANCE; CATHOLIC; CHILDHOOD; FAMILY; FREEDOM; EDUCATION; Socialist Party (France)