homeAccueil > Search and see > Document : EXTSYD 251 RUSH 2 1
 

Document : EXTSYD 251 RUSH 2 1 - ESPRIT MITTERRAND

 
 
Back
poster
Type SEQUENCE
Collection Pathé Sygma Reversements
Documentaire
Duration 00:13:40
Col. sound Color  Sound
Rights Vente des rushes avec l'accord des auteurs (Pierre Jouve & Ali Magoudi) - Reversements Autors agreement
Select
Reference

EXTSYD 251 RUSH 2 1

Title

ESPRIT MITTERRAND

Dates

Shooting : 24/04/1984

Summary catalogue

Interview de François Mitterrand par Pierre Jouve et Ali Magoudi.

Descriptive summary

Ali Magoudi : Vos écrits, qu ’ ils soient politiques, ou vos paroles, laissent apparaitre en permanence des lexèmes qui se réfèrent soit à la religion, soit à Dieu, pour donner un seul exemple dans le dernier entretien que vous nous avez accordé, vous disiez à propos de l ’ économie que l ’ économie ce n ’ est pas de la métaphysique, qu ’ on peut réajuster en matière économique sans être hérétique, puis relaps, on vous brûle deux fois, alors aujourd ’ hui on voudrait centrer un petit peu l ’ entretien sur les problèmes d ’ utilisation par vous de ces items lexicaux et la première question qu ’ on voudrait vous poser c ’ est, pourriez-vous nous raconter l ’ histoire de votre croyance en Dieu dans votre enfance ? François Mitterrand : (rires) Pas d ’ histoire, je l ’ ai reçue de ma famille, qui était une famille catholique pratiquante. Mon père et ma mère, ce n ’ était pas le cas de mon grand-père, qui était une sorte de radical, un peu comme ça quoi. Mais c ’ étaient des gens très croyants, donc tout naturellement ils ont élevé leurs enfants comme ça. J ’ étais à l ’ école communale, j ’ ai donc vécu jusqu ’ à ma dixième année dans un milieu très comme ça, avec la messe qui était un état d ’ esprit, et surtout ce n ’ étaient pas des gens bégueules, ni strictes. Ma mère était très stricte, tous les matins elle était à la messe à six heures du matin ! (sourire affectueux légèrement condescendant). J ’ ai retrouvé son livre de raison dans lequel elle écrivait quand elle avait vingt-cinq ans. Je l ’ ai à la maison, c ’ est un document très précieux d ’ ailleurs, indépendamment de l ’ aspect familial, puisqu ’ il raconte les évènements de l ’ époque, et elle avait des modes de vie qu ’ elle remettait au point tous les six mois, métier de chien ! Rigoureux, une heure de prière, méditation dans la journée… donc c ’ était une formation un peu janséniste et pas du tout très libérale par rapport aux autres. Mais c ’ était un milieu quoi. Avec cette influence biblique parce que Jarnac était une ville protestante, ça faisait parti des centres qui ont fait l ’ objet de l ’ édit de Nantes. Cognac, ce genre de ville, la Rochelle. Trois points dans les Charentes et deux dans les Cévennes. Donc une influence protestante très grande, et alors que la Bible était très délaissée par les milieux catholiques, là c ’ était le livre de chevet quoi. A dix ans j ’ étais dans un collège libre, catholique, à Angoulême jusqu ’ à 17 ans, donc j ’ ai vécu dans ce milieu là avec toutes les inflexions, les charmes, les ravissements, les incertitudes que ça suppose. Puis ensuite j ’ ai été étudiant, disons que j ’ ai fait moi-même mon adaptation. Je ne suis pas obsédé hein ! AM : Oui, très bien ! A cette époque dans votre enfance, le terme croyance… FM : Oui c ’ était une chose si simple, jusqu ’ à une certaine époque, ça allait de soi… AM : Ça allait de soi… Pierre Jouve : Pardon, vous avez dit jusqu ’ à une certaine époque ? FM : Oui, jusqu ’ au moment où je suis devenu d ’ une certaine façon agnostique quoi. Agnostique ce n ’ est pas celui qui n ’ y croit pas, c ’ est celui qui ne sait pas s ’ il y croit ou s ’ il n ’ y croit pas… AM : Vous parliez de votre grand-père, je suppose que c ’ est votre grand-père maternel ? FM : Maternel, oui, c ’ est que je n ’ ai pas connu mon grand-père paternel. Je l ’ ai connu j ’ étais tout petit. Mon grand-père maternel chez lequel je vivais, enfin nous vivions en symbiose avec mes grands-parents maternels. AM : Mais dans une de vos biographies, il est noté que votre grand-père maternel est devenu croyant après le décès… FM : C ’ est vrai d ’ ailleurs, c ’ est vrai après la mort de… il avait deux fils et deux filles et il a perdu ses deux fils dont un à vingt ans. AM : Est-ce que vous vous souvenez de cette période ? FM : Non, il était mort avant ma naissance. Ils étaient devenus croyants, mais pas militants. Sous l ’ influence sans doute de ma grand-mère, sa femme. C ’ était un choc terrible, ils ont perdu un fils qui était enfant, puis un deuxième fils jeune homme. La maison a vécu en noir à partir de ce moment là. AM : Le rapport entre le décès d ’ un proche et le retour à la croyance. FM : Je ne sais pas quel était le processus spirituel de mon grand-père, je ne le connais pas. Souvent même il se produit le contraire, le sentiment d ’ injustice. Mais non là, peut-être le besoin d ’ imaginer qu ’ on retrouvera. Je ne sais pas, moi je ne connais pas du tout le mécanisme qui a joué. AM : Vous parliez tout à l ’ heure du carnet personnel de votre mère, dans lequel elle changeait de mode de vie selon les périodes. FM : Elle se soumettait à une règle volontairement. C ’ était une règle extrêmement rigoureuse dans son mode de vie. Le partage entre l ’ action et la méditation, la nourriture. C ’ étaient des gens très héroïques. AM : Vous regardiez cela de façon très … FM : Naturelle. C ’ est ce que je voyais. Je croyais que ça se faisait partout comme ça. Mais mes parents n ’ étaient pas du tout répressif. Ma mère est morte relativement jeune et mon père, lui, a vu, dans notre petite ville avec ses traditions, nos deux sœurs aînées divorcer. Et bien il a assumé très bien, il a aidé ses filles. Vous pouvez imaginer ce que ça devait être avant guerre, ou juste au moment de la guerre. Il n ’ était pas bégueule, quoi. Ce n ’ était pas quelqu ’ un qui suivait les choses à la lettre. Donc, c ’ est pour ça qu ’ il n ’ y a pas du tout eu d ’ oppression et les évolutions des uns et des autres se sont accomplis absolument sans heurts. AM : Le passage que vous décrivez à votre agnosticisme, il y a un certain nombre de réflexions, d ’ évènements qui l ’ ont précipités ? FM : Oh, je ne peux pas dire. La guerre, la captivité. Je ne me suis pas dit Dieu n ’ existe pas, je me suis dit je n ’ en sais rien. Et ça continue de m ’ intéresser, mais pas sous la forme de l ’ angoisse, sous la forme de l ’ interrogation quoi. AM : Mais sous quelle forme cette interrogation ? FM : Je ne sais pas, c ’ est quand même extraordinaire que l ’ homme connaisse tant de chose à la matière mais qu ’ il ne sache rien de lui. C ’ est surprenant ce décalage, cette ignorance complète de l ’ homme sur lui-même. Sur ses origines et son devenir. A moins qu ’ il conclut qu ’ il y ait un acte physique qui le fait naître et un acte physique qui le fait mourir, le reste c ’ est le néant, chose qui est tout à fait possible et probable, sans qu ’ on sache quand même l ’ origine du monde. La naissance d ’ une conscience, qui est un éclat de diamant dans un coin du cerveau, qui fait qu ’ on juge tout et soi-même. C ’ est quand même un drôle d ’ évènement, c ’ est une drôle de révolution, bien sûr ça en vaut d ’ autres. AM : La question, donc, de la croyance en Dieu, c ’ est sur l ’ homme ou sur le monde ? FM : Moi je m ’ interroge plus sur le monde que sur l ’ homme, parce que je trouve l ’ homme un peu prétentieux de penser que tout tourne autour de lui. [Coupure] AM : A aucun moment ? FM : Des impulsions, mais je n ’ ai pas éprouvé un besoin. Je ne suis pas devenu un militant de l ’ explication d ’ une lettre de Dieu. Je n ’ en sais pas davantage. Je suis un peu sensible au côté, que moi je trouve ridicule, de l ’ implication de dieu qui sert à tout et n ’ importe quoi dans certaines religions. Qui est là, qui note tout, qui est derrière tout, qui pourvoit tout … J ’ ai peine à croire que notre destin individuel soit à ce point sublimé. Mais enfin, si j ’ avais à me ranger dans un camp, je serais plutôt proche d ’ une explication spiritualiste que d ’ une explication matérialiste. Bien qu ’ après tout il y ait suffisamment de théories qui expliquent que l ’ esprit c ’ est la matière. Tout se rejoint. J ’ ai tendance à ne pas croire à la loi du hasard et de la nécessité. « Je pense plutôt que… », je ne vais pas plus loin dans l ’ explication. AM : On dirait que vous avez une certaine pudeur à parler de ces problèmes. FM : Eh bien oui, pourquoi voulez-vous que j ’ en parle? AM : Parce que au niveau du lexique, ça envahit votre vocabulaire. FM : C ’ est mon vocabulaire qui fait partie de mon fondement culturel. Moi j ’ ai quasiment appris à lire dans la Bible. En plus c ’ est très imagé. C ’ est un style très imagé, la Bible et la plupart de ces livres là, c ’ est un don de l ’ image, du symbole, c ’ est utile pour une bonne langue l ’ image, c ’ est très remarquable, c ’ est d ’ ailleurs un livre sauvage, une histoire de massacres perpétuels, on tue et on viole tout le monde. Mais enfin, il parait que c ’ est un livre très saint (sourire ironique). PJ : Vous maniez l ’ ironie… Quelle est votre première image, votre premier souvenir religieux, par exemple. Est-ce qu ’ on peut vous poser cette question ? FM : Vous direz que c ’ est religieux, mais c ’ est plutôt associé à des émotions poétiques, c ’ est quand j ’ allais à la messe à pieds depuis notre maison de Touvent dans les Charentes jusqu ’ à une toute petite église qui n ’ était qu ’ une chapelle de la commune ou de la paroisse dans laquelle nous habitions, juste à la jonction de la Charente et de la Dordogne. Alors ça faisait deux kilomètres et demi. Je me souviens surtout des jours d ’ Avril comme maintenant, c ’ était tout de même exaltant pour un enfant, par des chemins comme ça, avec les arbres fruitiers en fleur, par une chaleur. C ’ est cette impression là. C ’ est un enchantement.

Mots clés

PARIS; Jarnac (off); François Mitterrand; PRESIDENT OF THE REPUBLIC; INTERVIEW; RELIGION; CROYANCE; CATHOLIC; CHILDHOOD; FAMILY; SCHOOL